"Une Suisse sans armée" n°32, hiver 1996, pp. 17-18

Partenariat pour la Paix:

Les enseignements d'un document confidentiel

La Suisse va bientôt adhérer au Partenariat pour la Paix (PpP) de l'Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN). Comme pour tous les traités de ce genre, le Conseil fédéral a toute latitude de signer cet accord en dehors de tout contrôle démocratique. Toutefois, bon prince, il a procédé à une consultation du parlement, sans qu'il y soit tenu et sans être contraint par son résultat. La tendance intégrationniste du commandement de l'armée a gagné. La Suisse devrait pouvoir mieux former ses officiers. Nous avons mis la main sur un document confidentiel de l'OTAN. Édifiant !

Le document, daté du 4 avril 1996, contient une série de questions à poser aux partenaires potentiels du PpP lors des négociations. Les sujets des questions sont très variés. Les relations avec la Russie, la participation aux opérations de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU ou de l'OSCE ainsi que l'élargissement de l'OTAN reviennent constamment. En ce qui concerne le contrôle démocratique, on parle des relations entre le pouvoir politique et civil et l'armée, de la transparence dans les programmes et budgets de défense. Il est également question des relations entre voisins, de la coopération régionale et des alliances déjà conclues.

Doctrine de défense

On arrive rapidement sur l'analyse et l'évaluation des risques et menaces par le futur partenaire. Ceci amène l'OTAN à demander quelle évaluation fait son partenaire de sa propre capacité de faire face à ces risques. De même, il y a des questions sur les programmes d'armement et les restructurations en cours, et sur la compatibilité du matériel utilisé avec les standards de l'OTAN! L'alliance va même jusqu'à demander quelles sont les dispositions légales, constitutionnelles et militaires concernant le stationnement de troupes, de matériel et de quartiers généraux des troupes alliées, en spécifiant toutefois que ça ne constitue pas une condition d'accès au partenariat.

Un peu plus loin, l'OTAN demande la position du futur partenaire sur le concept de dissuasion, et particulièrement sur le rôle central du nucléaire dans cette doctrine. Ensuite, les questions portent sur les forces militaires du partenaire potentiel et son armement, y compris les armes de destruction de masse.

Au chapitre des finances, on revient sur la capacité économique du pays et sur sa disponibilité à fournir une participation financière pour le partenariat. La mise à disposition de forces pour des opérations communes est également demandée. Il est toutefois spécifié que le partenaire n'aura aucun droit de regard sur le domaine d'utilisation de sa contribution !

Des documents officiels

En annexe de ce document figure également le communiqué de presse de l'OTAN qui a fait suite à l'instauration du PpP en janvier 1994. Ainsi, le PpP sera mis sous l'autorité du Conseil Nord-Atlantique. Les États partenaires seront invités à participer aux instances politiques et militaires au siège de l'OTAN à Bruxelles et devront envoyer des officiers de liaison. «Le partenariat étendra et intensifiera la coopération politique et militaire à travers l'Europe, améliorera la stabilité et diminuera les menaces à la paix, et bâtira des relations renforcées en promouvant l'esprit de coopération pratique et l'engagement envers les principes démocratiques qui sous-tendent notre alliance» (1) L'alliance examinera les menaces qui pèsent sur ses partenaires en cas de demande. «À un rythme et sur un champ déterminé par la capacité et le désir des États participants individuels, nous travaillerons concrètement à la transparence dans l'élaboration du budget de défense, à la promotion du contrôle démocratique dans les ministères de la défense, à la planification et aux exercices militaires communs, et à créer une capacité d'opérer avec des forces de l'OTAN dans des domaines tels que le maintien de la paix, les opérations humanitaires, de recherche et de sauvetage, et d'autre manière encore selon les accords.» (2). Concrètement, l'alliance prône également l'instauration d'exercices en commun.

Enfin, le document cadre du PpP précise que «Ce partenariat est établi comme l'expression d'une conviction commune que la stabilité et la sécurité dans l'aire euro-atlantique ne peut être atteinte que par la coopération et l'action commune. La protection et la promotion des libertés fondamentales et des droits humains, la sauvegarde de la liberté, de la justice et de la paix à travers la démocratie sont des valeurs partagées et fondamentales pour le partenariat.» (3) Les États membres de l'OTAN sont engagés dans la préservation des droits démocratiques et dans leur affranchissement de la contrainte et de l'intimidation. Ils réaffirment leur engagement d'accomplir les obligations de la Charte des Nations Unies et les principes de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme; ils s'abstiennent spécialement de toute menace ou d'usage de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique des États et s'engagent à résoudre les désaccords par des moyens pacifiques. On est touché par tant de pacifisme!

Une opposition justifiée

D'aucuns s'empressent de mettre malhonnêtement dans le même panier pacifistes et isolationnistes lorsque nous nous opposons aux coopérations militaires. Relevons dans ce qui précède quelques bonnes raisons de le faire.

Tout d'abord, l'OTAN est une organisation réunissant les principales puissances nucléaires, et qui est par là même un instrument de la guerre froide. En second lieu, ceci étend de plus en plus l'emprise des États-Unis sur l'Europe et sur le monde.

En adhérant au PpP, on s'allie aux plus grands exportateurs d'armes. Ainsi, la standardisation des armements est une obligation cachée d'acheter des armes aux États membres. Certes, l'armement de la Suisse est depuis longtemps OTAN-compatible, mais on ne peut en dire autant des anciens membres du Pacte de Varsovie.

Sur le fond, on sait depuis longtemps que les interventions armées ne résolvent rien. En Bosnie, l'IFOR - composée de troupes de l'OTAN - ne fait rien de concret pour préparer la cohabitation entre les communautés, et surtout, se garde bien d'arrêter les criminels de guerre - Mladic et Karadzic en tête - même s'ils font l'objet d'un mandat d'arrêt international. Une organisation si éprise de démocratie ne devrait pas accepter les élections en Bosnie, entachées par de nombreuses irrégularités. L'IFOR a assisté elle-même à ces mascarades sans broncher.

Sur le plan financier, la Suisse n'aura pas son mot à dire sur l'utilisation des fonds qu'elle verse au PpP. Ainsi, la Suisse pourrait contribuer financièrement à des opérations de bombardement des forces serbes, qui n'auront pour effet que de renforcer les nationalistes.

Pour les autorités suisses et les intégrationnistes au sein de l'armée, le PpP n'est qu'un premier pas. Ils ont en vue une professionnalisation plus ou moins forte de l'armée, puis une participation réelle à une force européenne. Nos généraux veulent enfin jouer dans la cour des grands. À nous de nous y opposer par tous les - maigres - moyens qui nous sont donnés, en attendant... une Suisse sans armée!

Sébastien L'haire

1) Communiqué de presse M-1 (94) 2, traduit par l'auteur. Retour à l'appel de note

2) Ibidem. Retour à l'appel de note

3) Document cadre, traduit par l'auteur. Retour à l'appel de note