Depuis 1907 seulement, la Suisse a une armée, suite à une loi sur l’organisation militaire qui remplace la mosaïque de milices cantonales. Le 12 septembre 1982, 120 personnes fondaient le Groupe pour une Suisse sans Armée, dans le but de lancer une initiative populaire pour abolir l’armée suisse.
Trente après, voici venu le temps de faire le bilan sur les pages d’histoire de notre mouvement et de nous interroger sur les perspectives à venir.
L’initiative «Pour une Suisse sans armée et une politique globale de paix» a été lancée le 21 mars 1985, après près de 3 ans de discussions. La récolte, essentiellement en Suisse alémanique mais aussi dans les autres régions linguistiques, aboutit grâce à un effort volontariste. L’initiative est validée avec 111’300 signatures valables.
En 1988, le Conseil fédéral publie son message sur l’initiative: «La Suisse n’a pas d’armée, elle est une armée», dit-il dans son introduction. La classe politique est quasi-unanime pour rejeter l’initiative. La votation est agendée pour le 26 novembre 1989. Sociétés militaires et patriotiques se mobilisent. Les messages de propagande inondent les citoyens sous les drapeaux. Le Conseiller fédéral Villiger dit imprudemment qu’un résultat de 20% de oui serait une catastrophe. En face, la mobilisation de militant-e-s, jeunes et moins jeune, est aussi à la hauteur du défi.
Début novembre 1989, le Mur de Berlin tombe, suite aux réformes en Union soviétique et à l’exode des Allemands de l’Est, des Hongrois et des Tchécoslovaques vers l’Ouest. Le jour de la votation, le résultat tombe, incroyable: 1’052’218 citoyen-ne-s (35,6 %) ont dit oui, avec une participation record. Genève et le Jura acceptent l’initiative. C’est un formidable séisme politique.
Les soldats contre l’armée
Plus des deux tiers des conscrits avaient voté contre l’armée, d’après un sondage. Des officiers modernistes profitent alors de lancer une grande réforme de l’armée qui aboutira à Armée 95, le concept qui régit encore l’armée actuelle jusqu’à l’entrée en vigueur d’Armée XXI à partir de 2004.
En 1990, le GSsA lance un appel au refus collectif de servir, suite aux révélations sur l’armée secrète P26 et le service de renseignement clandestin P27. Les objecteurs de conscience devaient affronter les tribunaux en se réclamant d’un mouvement, afin d’obtenir l’introduction d’un service civil. Les tribunaux jugent néanmoins les objecteurs au cas par cas, ce qui est un semi-échec. L’auditeur en chef de l’armée Barras (l’accusateur ou procureur) propose une révision du code pénal militaire qui introduit une distinction entre «bons» objecteurs qui refusent pour des raisons de conscience et qui peuvent obtenir une condamnation à une astreinte au travail (une ébauche de service civil), et «mauvais» objecteurs, qui refusent pour raisons politiques ou de convenance personnelle et continuent à être condamnés à des peines de 8 mois de prison ferme environ. Le GSsA participe à la récolte de signatures contre cette révision, qui est néanmoins acceptée par le peuple en juin 1991. Le GSsA participe aussi activement aux mobilisations contre la guerre du Golfe.
En 1991 s’ouvrent aussi les premières discussions en vue du lancement d’une deuxième initiative pour abolir l’armée, comme nous l’avions promis au soir du 26 novembre 1989.
Suisse sans F/A-18
En 1992, le parlement décide de l’achat de 34 avions de combat F/A-18 pour la modique somme de 3,5 milliards de francs. Le GSsA décide alors de lancer une initiative pour une Suisse sans nouveaux avions de combat. En un mois, 503’519 signatures sont récoltées. Au mois de mai, suite à une initiative parlementaire, le principe d’un service civil est largement plébiscité par le peuple. La loi n’entrera en vigueur qu’en 1996, suite à d’âpres discussions parlementaires.
L’initiative contre les avions est traitée en un temps record et la votation est agendée pour le 6 juin 1993. Le Conseiller fédéral Villiger réussit à détourner le débat de l’opportunité d’acheter les F/A-18 en prétendant que le GSsA voulait l’abolition de l’armée par tranches successives. A l’étranger, c’est la guerre en ex-Yougoslavie, avec les scènes de la ville croate de Vukovar dévastée par les Serbes que les opposants à l’initiative affichent sur tous les murs. Le ban et l’arrière-ban des sociétés patriotiques sont mobilisés. L’initiative récolte pourtant un succès d’estime avec 42,9% des votants.
Campagne anti-guerre
En 1994 a lieu une votation sur la création d’un corps suisses de Casques bleus pour les opérations de maintien de la paix de l’ONU, alors que la Suisse n’en faisait pas partie à l’époque. Le débat est intense au GSsA entre partisans des soldats de la paix et opposants au système onusien aux mains des principales puissances du globe. Finalement, le mot d’ordre du vote blanc est acquis au niveau national et les groupes romands font une campagne pour le non. Au final, le peuple dira non. A cette époque aussi, le GSsA soutient activement dans toutes les régions de l’ex-Yougoslavie les mouvements locaux qui s’opposent à la guerre et qui cherchent à trouver des solutions pacifiques aux conflits qui minent ces pays. Avec le Service Civil International, le GSsA lance un projet de reconstruction de la ville divisée de Pakrac.
Nouvelles perspectives
En 1995, les discussions pour une nouvelle initiative sont reprises. Il devient clair, au vu des expériences du projet de Pakrac, qu’une initiative positive est nécessaire, en alternative à la résolution militaire des conflits. En 1996, le GSsA prend l’option du lancement de deux nouvelles initiatives. Le groupe de Genève lance aussi une initiative «Genève, République de paix», pour concrétiser l’image antimilitariste et pacifiste du canton avec des mesures d’éducation à la paix, le soutien à des efforts internationaux pour la paix etc.
En juin 1997, l’initiative contre les exportations d’armes est mise aux votes. Cette initiative du Parti socialiste aurait pu ne pas aboutir sans l’aide déterminée du GSsA pour récolter les signatures. Pour cette campagne, le parti socialiste ne s’engagera pratiquement pas. L’initiative est hélas rejetée par les votants.
Après des intenses discussions, les textes les initiatives du GSsA sont prêts et lancés en mars 1998. La première initiative demande l’abolition de l’armée, la seconde la création d’un service civil volontaire pour la paix comme contribution solidaire de la Suisse à la politique de sécurité internationale. De mars 1998 à septembre 1999, c’est une nouvelle campagne de récolte de signatures. Finalement, elles aboutissent avec respectivement 110 855 et 113 532 signatures validées. En décembre 1999, le GSsA donne un coup de main pour faire aboutir l’initiative pour l’adhésion de la Suisse à l’ONU.
2000 est une année riche. A Genève, l’initiative «Genève, République de paix» est rejetée le 12 mars. Le 26 novembre, onze ans après la votation sur l’abolition de l’armée, le GSsA soutient l’initiative minimaliste pour la réduction du budget militaire, lancée par le parti socialiste. Après une campagne terne et, une fois de plus, un désengagement coupable des socialistes, l’initiative est rejetée.
Contre la nouvelle loi militaire
Début octobre 2000, le GSsA a lancé, avec d’autres organisations, un référendum contre la nouvelle loi militaire. Les signatures proviennent en majorité du GSsA, mais aussi de l’extrême droite blochérienne. La presse se déchaîne violemment contre les extrémistes de gauche comme de droite, malgré l’aspect solidaire de notre opposition à la loi et notre initiative pour le service civil volontaire pour la paix comme alternative concrète et civil à la résolution des conflits. Le 10 juin 2001, le peuple accepte la loi de justesse (51%).
Le répit est de courte durée car la campagne sur nos initiatives démarre presque immédiatement en septembre. Les attentats du 11 septembre puis la guerre d’Afghanistan sont une douche froide. Le GSsA peine à mener de front l’indispensable lutte antiguerre et la défense de ses initiatives.
Finalement, le 2 décembre 2001, nos initiatives n’obtiennent respectivement que 21,9% et 23,2% des voix. Nous caressions quand même l’espoir de voir passer l’initiative pour un service civil volontaire pour la paix. Mais les médias se sont cristallisés sur l’autre sujet et n’ont que peu relayé ce projet. Les nombreuses organisations pacifistes qui soutenaient le texte n’ont pas suffisamment fait entendre leurs voix. Finalement, comme le démontrent nos échecs nationaux et cantonaux, il est sans doute illusoire de vouloir faire passer un projet de paix à travers un vote populaire.
En 2002, le GSsA a fait une petite campagne en faveur de l’entrée de la Suisse dans l’ONU. Les campagnes antiguerre continuent à guider nos activités (Israël-Palestine et Irak) comme la lutte anti-mondialisation (diverses manifestations et mobilisations autour du Forum Social Européen de Florence).
Le GSsA participe donc aux réflexions vers la construction d’un autre monde, à travers la lutte contre le militarisme et les guerres qui sont le fruit des énormes inégalités dans le monde. Les succès des mobilisations de Florence et l’intérêt des citoyen-ne-s pour la lutte contre les guerres montre que notre action et notre présence restent indispensables. Il a notamment participé au contre-sommet du G8 à Evian en France voisine. Sur le plan suisse, il est à craindre que l’armée nous prépare quelques projets démesurés et dangereux à l’avenir, sans compter les activités de soutien aux victimes du service militaire que nous continuons à assurer.
Le GSsA a également lancé une initiative pour l’interdiction d’exporter du matériel de guerre le 27 juin 2006. La récolte a abouti et l’initiative sera déposée le 21 septembre 2007. Par ailleurs, le GSsA participe à la récolte de l’initiative pour la protection face à la violence des armes lancée par une large coalition début septembre 2007.
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